« Un coup funeste pour la démocratie »

Manuel Zelaya

HONDURAS. À la veille des élections générales de dimanche, Manuel Zelaya, président de centre-gauche destitué par un putsch, émet l’hypothèse d’une participation des États-Unis au coup d’État du 28 juin dernier.

 

Manola Romalo : Monsieur le Président, début juillet Barack Obama a condamné le coup d’État et a demandé votre retour au pouvoir. Depuis, des dizaines de membres d’extrême droite du Congrès américain sont venus à Tegucigalpa, la capitale du Honduras. Le gouvernement des États-Unis vient de déclarer que, avec ou sans retour du président légitime, il reconnaîtra les élections organisées par les putschistes. Que veut dire cette volte-face ?

 

Manuel Zelaya : C’est un précédent funeste pour la démocratie en Amérique latine. Nous avions cru que les coups d’État faisaient partie de l’histoire du XXe siècle. Mais voilà qu’ils recommencent au XXIe. En plus, avec l’aval des États-Unis, qui légitiment celui intervenu au Honduras, puisque les élections ne visent qu’à faire reconnaître le nouveau président qui émergera du scrutin (1). Cette décision a des causes et des effets.

 

Lesquels ?

 

En juillet, nous avons signé l’accord de San José avec les États-Unis et l’Organisation des États d’Amérique (OEA), afin d’entamer avec les putschistes le dialogue proposé par Washington. C’était discuter avec ceux qui, en juin, m’ont sorti de chez moi sous le feu des balles, sans aucune requête judiciaire, sans assignation ou sentence, présentant ensuite au Congrès « mon renoncement à la présidence », avec ma signature falsifiée.

 

Quelles sont les causes du revirement du gouvernement américain ?

 

Je pense qu’elles sont dues aux intérêts des multinationales, du capital financier local et international, ainsi qu’à ceux des groupes de pouvoir qui ont influencé le Sénat américain. Je dérange parce qu’entre autres mesures nous avons augmenté le salaire minimum des travailleurs, nous avons pris des mesures économiques et sociales pour favoriser l’économie, nous avons réduit la pauvreté. Il y a au Honduras des processus sociaux que personne ne pourra plus empêcher. Lorsque le peuple prend conscience de ses droits, personne ne peut le retenir.

 

Le 28 juin, avant de vous expulser à San José, au Costa Rica, l’avion militaire a fait escale à la base de Soto Cano, où sont stationnés 500 militaires américains. Peut-on en déduire que les États-Unis ont participé à ce coup d’État ?

 

L’histoire se chargera de clarifier les faits. Les États-Unis ont nié. Mais leur récente volte-face pose, logiquement, quelques questions. Sur la situation du Honduras, ils ont tenu des discours ambigus. Il faudra enquêter. Est-ce que les États-Unis auraient pu éviter le coup d’État ? Le département d’État de Washington était-il au courant des faits ? Le Commando Sud et le Pentagone ont-ils monté le coup avec les élites locales ? Des agences d’intelligence étaient-elles impliquées ? Otto Reich, sous-secrétaire d’État pour l’hémisphère occidental, est venu ici appuyer le coup d’État, ainsi que Robert Carmona-Borjas (2), pour soutenir le chef des putschistes, Roberto Micheletti. Nous avons des enregistrements que nous diffuserons au moment opportun. Lorsque sont apparus ici des membres du Sénat et du Congrès américains pour appuyer le coup d’État, je me suis rendu compte qu’il fallait explorer cette hypothèse.

 

En signe de protestation contre le coup d’État, le Front national de résistance a retiré ses candidats…

 

Depuis le 28 juin, nous vivons une tragédie de répression contre ceux qui s’opposent au régime usurpateur. L’armée a retenu arbitrairement quelque 3 500 personnes. En cent jours, il y a eu plus de 100 homicides, et au moins 600 blessés. Mais le peuple hondurien va continuer à lutter pacifiquement pour ses idéaux jusqu’à ce qu’il vainque la dictature. Si la communauté internationale, qui n’a pas réussi à rétablir la démocratie au Honduras, suit l’exemple des États-Unis, qui nous ont abandonnés à michemin, il faudra beaucoup de temps pour que les peuples retrouvent leurs valeurs démocratiques et la confiance.


(1) Les principaux candidats sont Elvis Santos (Parti libéral) et Pepe Lobos (Parti conservateur), soutenus par le régime putschiste.
(2) Avocat du dictateur Pedro Carmona durant le coup d’État d’avril 2002 au Venezuela.

 


 

Les Honduriens aux urnes

 

Dimanche 29 novembre, c’est le régime putschiste en place qui organisera les élections législatives. Avant d’être renversé, le 28 juin, Zelaya, réfugié dans l’ambassade du Brésil depuis le 21 septembre (date de son retour « clandestin » au pays), avait eu l’intention de demander aux Honduriens de se prononcer précisément le 29 novembre sur la convocation d’une Assemblée constituante. Celle-ci devait examiner, notamment, l’annulation de la clause interdisant à un Président de se représenter pour un nouveau mandat. Ce que de nombreux médias internationaux avaient abusivement traduit par « référendum » en faveur d’un mandat illimité, et qui avait servi de prétexte pseudo-démocratique au putsch.

 

Avant l’accord de San José, rédigé par un bureau dont fait partie l’avocat Lanny Davis, proche de Bill et Hillary Clinton, Washington imposa à Zelaya de renoncer à ce projet. Celui-ci avait pourtant été élaboré en collaboration avec les syndicats, les associations de paysans, les mouvements indigènes, féministes, étudiants, provoquant la vive inquiétude de l’oligarchie locale et des multinationales. Et, d’ailleurs, la politique sociale du président Zelaya et l’adhésion du Honduras, depuis juillet2008, à l’Alliance bolivarienne pour les peuples de l’Amérique latine (Alba) avec le Venezuela, la Bolivie, Cuba, l’Équateur, le Nicaragua et la Dominique (à ne pas confondre avec la République dominicaine) comptent parmi les motifs du putsch.


Andrés Pavón, président du Comité pour la défense des droits humains, dénonce depuis quelques jours un « plan de massacre » contre les membres de la résistance nationale, que préparerait pour le 29novembre le gouvernement putschiste de Roberto Micheletti. Ce dernier vient d’annoncer qu’il se retirera de la vie publique « pour prendre un temps de réflexion » dans la semaine du 25 novembre au 2 décembre.

 

Manola Romalo

 


 

Publié le 26 novembre 2009 dans POLITIS (Paris)