La révolution démocratique iranienne est en marche
Pour qui est assez âgé pour s’en souvenir, les rares 
informations sérieuses qui nous parviennent d’Iran font irrésistiblement 
penser aux dernières semaines du régime honni du Shah. La montée en puissance 
des manifestations, la violence de la répression, les débuts de 
décomposition de l’armée et le rôle que jouent les forces spéciales et tous 
les supplétifs du régime, les manoeuvres pour préparer une solution 
de transition qui permettent de maintenir l’essentiel du 
régime, éventuellement en éliminant Ahmadinejad, tout cela vient comme en 
écho aux années 1978/1979 dont nous avons eu déjà l’occasion de parler il y a 
peu sur ce site.
http://la-sociale.viabloga.com/news/ou-va-l-iran-1
Pour 
comprendre les évènements, il faut commencer par dissiper 
l’enfumage idéologique organisé par le régime, par diverses 
variétés d’anti-impérialistes, et par les impérialistes 
euro-américains. 
La propagande officielle annonce qu’il ne s’agit pas 
de vrais opposants, mais de gens manipulés par les médias américains et 
occidentaux en général. Vieille astuce de tous les tyrans : les opposants 
sont des agents de l’étranger qui veut asservir la patrie. C’est si 
évidemment absurde qu’il ne vaudrait même pas la peine de le réfuter. Mais 
rappelons tout de même que le point de départ des manifestations a été 
l’élection truquée d’Ahmadinejad et le refus du peuple de se voir spolier de 
sa victoire par ce tyran qui règne qu’en maintenant le pays dans 
l’insécurité, en jouant d’une tension bien calculée avec les USA et Israël, 
tout en désorganisant économiquement un pays très riche : l’Iran, un des 
principaux pays de l’OPEP s’est ainsi trouvé confronté à des sérieuses 
pénuries d’essence. Si Ahmadinejad était roi du Sahara, sûr qu’il devrait 
importer du sable ! On rappellera que les Occidentaux, États-Unis en tête, 
ont immédiatement entériné l’élection d’Ahmadinejad avec lequel ils 
conduisent un intéressant jeu de poker menteur qui arrange les uns comme les 
autres, sachant qu’il y a un accord de fond entre l’Iran et les États-unis 
sur la question irakienne (Nous avons eu l’occasion de nous exprimer sur ce 
point à plusieurs reprises).
Les débris du stalinisme et de 
prétendus « anti-impérialistes » de tous poils, tous cerveaux handicapés ne 
connaissant que la logique binaire la plus fruste, croient que, puisque 
Washington fait mine de menacer le régime iranien, il en faut déduire 
qu’Ahmadinejad est un vrai « anti-impérialiste » qu’il faut soutenir 
ardemment. Les mêmes ou leurs ancêtres soutenaient les procès de Moscou, ils 
furent pour le pacte germano-soviétique contre les impérialistes 
anglo-saxons, pour l’Alliance de Staline avec Roosevelt quelques mois plus 
tard, contre l’impérialisme allemand et japonais cette fois ; ils furent aux 
côtés des forces de répression russe contre les ouvriers de Berlin en 1953, 
aux côtés des chars (anti-)soviétiques en 1956 à Budapest, aux côtés des 
chars à Prague en 1968 ; ils approuvèrent chaleureusement l’invasion russe en 
Afghanistan en 1980 pour se retrouver aujourd’hui à soutenir comme 
« anti-impérialistes » ceux-là même qui, avec l’aide et la logistique 
des USA, ont défait les Russes …
« L’anti-impérialisme » est 
slogan facile et vraiment très pratique car il peut servir à couvrir toutes 
les situations possibles et imaginables. Après tout en 1914, les Français 
menaient la guerre contre l’impérialisme allemand et les Allemands menaient 
la guerre contre la triple alliance des impérialistes anglais, français et 
russe ! Les anti-impérialistes d’aujourd’hui sont la copie conforme de ceux 
d’hier. Ils soutiennent (avec Mélenchon) l’impérialisme chinois au Tibet 
ainsi que la répression des Ouïghours, au motif que la Chine est opposée à 
l’impérialisme US, dont pourtant elle est le principal créancier 
!
Tous ces braves gens font mine de ne pas s’apercevoir qu’en 
Afrique, c’est la Chine qui prend le relai des vieux impérialismes européens 
décatis. Les anti-impérialistes aiment plutôt Poutine en qui ils voient une 
sorte de successeur légitime du petit père des peuples. Et selon les 
mêmes raisonnements sophistiques, les voilà qui volent au secours 
d’Ahmadinejad, reprenant sans la moindre pudeur la propagande du régime, 
soutenant les massacres organisés par les groupes fascistoïdes des « pasdaran 
» et des bassidj’is et alléguant que nous n’avons pas à protester contre 
Téhéran étant donné qu’Israël ferait bien pire en Palestine (ce qui n’est, 
au demeurant pas certain du tout, car la comptabilité macabre est une 
science difficile).
Qu’Ahmadinejad soit chaleureusement embrassé 
par Chavez n’est pas un argument en faveur du régime de Téhéran mais plutôt 
une preuve que Chavez n’est qu’un leader nationaliste petit-bourgeois, à la 
tête d’un riche pays pétrolier et nullement la figure marquante du « 
socialisme du XXIe siècle » comme le croient les néo-bolivariens parisiens ou 
fraîchement élus au Parlement de Strasbourg… On remarquera aussi avec quel 
prudent silence, les féministes radicaux du NPA, du PG et tutti quanti ont 
parlé de l’aide médicale apportée par Ahmadinejad à la Bolivie (voir 
l’article de Jean-Paul Damaggio, « Coup dur pour les droits des femmes en Bolivie »).
http://la-sociale.viabloga.com/news/coup-dur-pour-les-droits-des-femmes-en-bolivie
Laissons-là 
donc les pantins de « l’anti-impérialisme ». Certains, même parmi les groupes 
iraniens opposés au régime, affirment que ce qui se passe en Iran n’est pas 
vraiment une révolution. Moussavi et le « mouvement vert » seraient en fait 
une aile du régime, mise en avant par le pouvoir, y compris en le réprimant 
(!), pour mieux protéger les mollahs.
Bref nous aurions surtout 
affaire à un affrontement entre pro-Khomeynistes. Ce n’est pas complètement 
faux : la dimension de crise interne à la caste au pouvoir est assez claire. Moussavi était un des principaux lieutenants de Khomeiny et, dans les débuts 
du régime, il a dirigé la répression d’une main de fer. Mais s’en tenir là, 
c’est ne pas voir l’origine des divergences au sein de la caste au pouvoir. 
Ces divergences portent sans doute sur la situation internationale : tout 
en étant aussi favorables qu’Ahmadinejad au nucléaire iranien, ses 
opposants veulent prendre leurs distances à l’égard d’une espèce de volonté 
« pan-islamiste » qui leur semble contraire aux intérêts de l’Iran et 
des fractions de la classe capitaliste qui les soutiennent.
Après 
Ahmadinejad, l’Iran pourrait facilement devenir une puissance impérialiste 
secondaire comme le Brésil ou comme la Turquie, entretenant de bonnes 
relations, notamment commerciales, avec les USA et les institutions 
financières internationales. La stratégie de la tension, qui sert bien 
Ahmadinejad pour justifier son pouvoir, leur semble totalement hors de 
propos. Mais elles portent aussi et surtout sur la manière d’affronter le 
mouvement de masse. Les mollahs pro-Moussavi, suivant la ligne de 
l’ex-président Khatami sont pour lâcher du lest afin de sauvegarder 
l’essentiel – tout changer pour que tout reste comme avant – c’est-à-dire le 
système capitaliste et la place qu’y occupe la 
hiérarchie religieuse.
Mais les révolutions surviennent toujours 
quand la crise en haut se combine avec la poussée en bas. Depuis plusieurs 
années, les fondements du régime sont ébranlés par une double poussée : d’une 
part, celle des luttes ouvrières, avec la tendance à la constitution de 
syndicats libres, faisant éclater le corset de fer du régime 
corporatiste-religieux ; d’autre part avec la poussée de la jeunesse, et pas 
seulement de la jeunesse étudiante, et des mouvements des femmes qui veulent 
en finir avec l’oppression sexiste-machiste-islamiste. Plus généralement, 
c’est une révolution démocratique qui reprend, à une génération d’intervalle, 
le mouvement commencé en 1978. Les informations que nous avons témoignent 
clairement de la nature du mouvement.
Il serait un peu obscène de 
lancer d’ici des mots d’ordre pour la révolution iranienne. On ne peut 
cependant manquer d’être frappé par le fait que le terrain de la solidarité 
ait été à près totalement déserté dans notre pays. Les « anti-islamistes » de 
profession, où sont-ils pour soutenir, dans la rue, les femmes d’Iran qui ne 
veulent plus de leur voile ? Ils préfèrent préparer une absurde loi 
anti-burqa. Et la gauche, où est-elle ? Occupée à digérer le réveillon 
?
À préparer de nouvelles manœuvres de balayeurs en vue des 
prochaines élections régionales ? Et la gauche de gauche ? Est-elle gênée 
parce c’est l’ami de ses idoles tropicales qui trempe ses mains dans le sang 
des ouvriers et de la jeunesse ? La révolution iranienne agit comme 
un puissant révélateur de l’état de décomposition morale de notre prétendue 
« gauche ».
Denis Collin – 28 décembre 2009.
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